Caecilius Statius |
Selon le témoignage de saint Jérôme, Caecilius est mort en 168, une année après Ennius, mais si l'on devait se fier à l'anecdote de Suétone la date devrait être reportée au moins à l'an 166 car l'Andria a été représentée pour la première fois cette année-là,. Le dramaturge a été enterré à proximité du Janicule.
Le très grand succès que les comédies de Plaute recueillaient auprès du peuple romain contribua à créer une émulation pour le genre comique et certaine aversion pour la tragédie. Plaute avait défini un standard difficilement atteignable par les auteurs de comédies qui lui succédèrent, souvent en concurrence entre eux, ils essayaient d'atteindre le niveau de Plaute «sur le même terrain», ou cherchaient de nouvelles voies afin de parvenir au succès.
C'est dans ce contexte que se situe l'œuvre littéraire de Caecilius Statius qui en se cimentant dans le genre palliata comme Plaute, introduisit des importantes innovations.
Caecilius Statius a laissé une vaste œuvre de laquelle nous sont parvenues peu de témoignages écrits et seuls des fragments comportant environ 280 vers nous sont parvenue.
Nous connaissons les titres de quarante-deux palliate : Aethrio, Andrea, Androgynos, Asotus, Chalcia, Chrysion, Dardanus, Davos, Demandati, Ephesio, Epicleros, Epistathmos, Epistola, Ex hautu hestos, Exul, Fallacia, Gamos, Harpazomene, Hymnis, Hypobolimaeus sive Subditivos, Hypobolimaeus Chaerestratus, Hypobolimaeus Rastraria, Hypobolimaeus Aeschinus, Imbrii, Karine, Meretrix, Nauclerus, Nothus Nicasio, Obolostates sive Faenerator, Pausimachus, Philomena, Plocium, Polumeni, Portitor, Progamos, Pugil, Symbolum, Synaristosae, Synephebi, Syracusii, Titthe et Triumphus.
Dans le domaine technique, l'œuvre de Caecilius Statius détermine un significatif virage dans l'histoire de la littérature latine et du Théâtre latin qui rencontrait de gros problèmes littéraires avec les originaux grecs:. Naevius et Plaute avaient traduit les originaux grecs avec une certaine désinvolture en latinisant les titres, dénaturant la trame en insérant des faits d'actualité et optant pour les coutumes romaines.
Caecilius opta pour une plus grande fidélité envers les écrits originaux desquels dans la plupart des cas il ne traduisit pas les titres, témoignant de fait d'une progressive hellénisation de la culture romaine,
Dans ses œuvres on constate la présence de la seule Rastraria et la limitation de titres avec la forme indigène -aria, très fréquente chez Nevius et Plaute.
Varron, a assigné à Caecilius Statius la palme in argumentis, c'est-à-dire pour les trames. Il est probable que l'auteur ne fasse pas usage comme ses contemporains du contaminatio, une figure de style qui enrichissait la comédie et permettait de présenter un plus grand nombre de situations comiques mais qui en même temps affaiblissait la trame,. .
Cette interprétation est confirmée par le fait que Caecilius Statius n'est pas cité dans la liste des auteurs qui ont fait usage du contaminatio, liste inscrite dans l'Andria de Térence, sur laquelle figurent Naevius, Plaute et Ennius.
Le modèle principal duquel Caecilius Statius s'inspira pour traduire ses œuvres est la comédie grecque de l'époque hellénistique Ménandre: on peut lui attribuer seize parmi les quarante-deux titres connus . Cicéron cita dans plusieurs des œuvres de Caecilius Statius et Térence comme traducteurs de Ménandre,, et Aulu Gelle dans ses Noctes Atticae fit une comparaison entre certains pas de Plocium de Caecilius Statius et l'original de Ménandre.
Au niveau métrique, Caecilius Statius employa surtout le sénaire iambique, déjà particulièrement diffus dans les œuvres des dramaturges précédents et du septénaire trochaïque;
Néanmoins son œuvre comporte aussi des parties chantées les cantica, poly métriques e au rythme vivace semblables aux cantica déjà utilisés par Plaute.
Au niveau de la rhétorique, on trouve les figures typiques de l'époque pré littéraire latine et de toute l'histoire de la littérature archaïque latine (240 - 78 av. J.- C.), comme l'allitération, et l'’’omoteleutus’’ ,; Dans les fragments on trouve des figures figures étymologiques et des accumulations synonymiques,.
Au niveau du style, l'œuvre de Caecilius Statius a tiré son inspiration de celle de Plaute. En effet les situations comiques et les échanges verbaux salaces, grossiers et vulgaires sont nombreux, comme attesté par le passage suivant de Plocium:
« Celui qui ne peut cacher et supporter sa peine est vraiment misérable: ainsi me rend mon épouse avec sa laideur et sa conduite; même si je me tais je laisse tout de même paraître ma peine. Elle qui, hormis sa dote possède tout ce que tu ne voudrais pas avoir: Celui qui aura, apprendra par moi, que comme un prisonnier auprès d'ennemis bien que je sois un homme libre, je suis en esclavage, bien que la ville et la forteresse soient sauvées. Elle qui me prive de tout ce qui me plait. Tu veux que je sois sauf? Tandis que je suis la bouche bée dans l'attente de sa mort, je vis comme un mort parmi les vivants. Celle-là dit que je la trompais cachement avec mon ancelle, elle m'accuse de cela et m'a étourdi en pleurant, priant, insistant, et me reprochant de l'avoir vendue; maintenant, je crois qu'elle fait ces bavardages avec ses amies et parents: «qui parmi vous encore dans la fleur de l'âge a eu comme moi maintenant âgée à prendre la même disposition, c'est-à-dire priver mon mari de son maîtresse?» Ceux-ci constitueront aujourd'hui le centre des potins et moi malheureux, je suis terrassé par les bavardages.»
—Plocium, vv. 143-157 Ribbeck; traduction française adaptée d'après celle de F. Cavazza in Aulus Gelle, Les Nuits Attiques, Zanichelli., Is demum miser est, qui aerumnam suam nesciat occulte ferre: Ita me uxor forma et factis facit, si taceam, tamen indicium, Quae nisi dotem omnia quae nolis habet: qui sapiet de me discet, Qui quasi ad hostis captus liber servio salva urbe atque arce. Dum eius mortem inhio, egomet inter vivos vivo mortuus. Quaen mihi quidquid placet eo privatum it me servatam velim? Ea me clam se cum mea ancilla ait consuetum. id me arguit: Ita plorando orando instando atque obiurgando me optudit, Eam uti venderem. nunc credo inter suas Aequalis, cognatas sermonem serit: 'Quis vostrarum fuit integra aetatula Quae hoc idem a viro Impetrarit suo, quod ego anus modo Effeci, paelice ut meum privarem virum?' Haec erunt concilia hocedie: differar sermone misere.
De la palliata de Plaute, Caecilius réutilisa aussi le langage varié, vivace et exubérant, son attention centrée sur la recherche de la parole colorée et soudaine , mais évita toute référence à l'actualité romaine à laquelle Plaute avait souvent fait recours.
En outre, sa majeure fidélité aux originaux grecs, sa prédilection pour Ménandre et le premier approfondissement psychologique des personnages sont un témoignage des développements que Caecilius apporta au modèle de Plaute . Il se préoccupa d'apporter un meilleur soin aux pensées et aux actions de ses personnages en analysant finement les sentiments et en les rendant cohérents avec les faits racontés.
Les détails qui distinguent l'œuvre de Caecilius de celle de son modèle Plaute sont toutefois nombreux :
à contrario généreux et désintéressé, prêt à se sacrifier pour l'adulescens aimé.
Caecilius est aussi l'auteur de quelques textes au ton grave et pathétiques sur le thème de la vieillesse , et d'autant de caractère plus général sur l'existence humaine ,: de situations comiques et farceuses, il sut donc prendre prétexte pour ébaucher des réflexions sérieuses.
L'œuvre de Caecilius se situe enfin à mi-chemin entre Plaute et Térence en ce qui concerne l'élaboration de l'idéal qui au Iersiècle av.J.-C. aurait pris le nom de humanitas: Plaute avait écrit Asinaria, «lupus est homo homini, non homo, quom qualis sit non novit»(«l'homme est un loup pour l'homme, au cas où l'on ignore qui il est»), en soutenant qu'un homme inconnu devrait être traité comme une bête sauvage. Caecilius par contre écrivit«homo homini deus est, si suum officium sciat»(«l'homme est un dieu pour l'homme, s'il connaît son propre devoir»): influencé par la philosophie stoïque, dont les enseignements étaient probablement repris et relaborés par les représentants du ‘’circolo degli Scipioni’’ et par Térence qui aurait enfin écrit: «homo sum, humani nihil a me alienum puto», Caecilius soutint que les hommes devaient être solidaires entre eux et se rendre service mutuellement: cela devait être le devoir de tout homme.
Le prologue de Hecyra de Térence témoigne comme les comédies de Caecilius parallèlement à ce qui était arrivé à Ménandre en en Grèce eurent du mal à atteidre le succès tant que Plaute était en vie : Le public romain qui appréciait le caractère comique de la palliata plautine, ne pouvait apprécier pleinement l'approfondissement psychologique que Caelius réservait à ses personnages, ni la recherche de la vraisemblance des trames . Après la mort de Plaute, les œuvres de Caecilius eurent un important succès et finirent par s'affirmer par rapport à celles d'autres auteurs. Au cours de la première moitié du Iersiècle av.J.-C., l'érudit Volcatius Sedigitus rédigea une liste des principaux poètes comiques en reconnaissant la supériorité de Caecilius par rapport à tous les autres :
« Nous avons vu beaucoup, incertains, rivaliser sur ce problème : à quel poète comique attribuer la palme. Grâce à mon critique je vais t'éclairer sur cette incertitude, jusqu'au moment, si quelqu'un penserait différemment, j'arrête de le faire. J'attribue la palme au poète comique Caecilius Statius. Plaute, comme second, dépasse facilement les restants. Ensuite Naevius, qui brule, à la troisième place. S'il devait y avoir une quatrième place, je l'attribuerais à Licinius. Ensuite j'estime que Attilius suivrait Licinius. À la sixième Térence, Sextus Turpilius septième, Quintus Trabea le huitième, et j'estime que facilement à la neuvième place se placerait Luscius Lanuvinus. Au dixième j'ajoute par son ancienneté Ennius.»
— Aule Gelle, Noctes Atticae, XV, 24., multos incertos certare hanc rem vidimus, palmam poetae comico cui deferant. eum meo iudicio errorem dissolvam tibi, ut, contra si quis sentiat, nihil sentiat. Caecilio palmam Statio do comico. Plautus secundus facile exsuperat ceteros. dein Naevius, qui fervet, pretio in tertiost. si erit, quod quarto detur, dabitur Licinio. post insequi Licinium facio Atilium. in sexto consequetur hos Terentius, Turpilius septimum, Trabea octavum optinet, nono loco esse facile facio Luscium. decimum addo causa antiquitatis Ennium.
Bien qu'il s'agisse d'une opinion personnelle, il est probable que les vues de Volcacius étaient partagées par les autres philologues contemporains.
« J'omets Gaius Lelius et Publio Scipion ; c'est vraiment à cette époque que l'on avait autant d'opportunité de parler un bon latin que de posséder une intégrité morale ; toutefois cela n'était pas à la portée de tous. En effet, nous voyons que parmi leurs contemporains, Caecilius et Pacuvius parlaient mal, mais à cette époque tous ceux qui n'avaient pas vécu à l'extérieur de cette ville [Rome] et qui n'avaient pas été contaminés par un quelconque usage barbare, parlaient correctement. »
— Cicéron, Brutus, 258., mitto C. Laelium P. Scipionem: aetatis illius ista fuit laus tamquam innocentiae sic Latine loquendi--nec omnium tamen; nam illorum aequales Caecilium et Pacuvium male locutos videmus --: sed omnes tum fere, qui nec extra urbem hanc vixerant neque eos aliqua barbaries domestica infuscaverat, recte loquebantur.
« Je n'ai pas suivi l'exemple de Caecilius qui constitue un mauvais modèle pour la langue latine, mais de Térence dont les œuvres, par l'élégance du langage, faisaient supposer écrites par Gaius Lelius. »
— Cicéron, Epistulae ad Atticum, VII, 3, 10., secutusque sum non dico Caecilium [...] (malus enim auctor latinitatis est), sed Terentium cuius fabellae propter elegantiam sermonis putabantur a C. Laelio scribi [...]
Toutefois, le même Cicéron reconnut, comme Volcacius Sedigitus et les philologues de son époque, la supériorité de Caecilius sur les autres poètes comiques.
« Quand on se demande quel est le plus important [des poètes], on désigne Pacuvius «le vieux érudit» , Accius «le sublime», Afranius«portant la toge, mais doté de la sensibilité de Ménandre», Plaute «original comme son modèle, le sicilien Épicharme», Caecilius «le plus profond», Térence «le plus fin».»
— Horace, Epistulae, II, 1, 59., ambigitur quotiens, uter utro sit prior, aufert Pacuvius docti famam senis, Accius alti, dicitur Afrani toga convenisse Menandro, Plautus ad exemplar Siculi properare Epicharmi, vincere Caecilius gravitate, Terentius arte.
« Si on ne remonte par le discours aux expressions maladroites et rudes, louables par leur nouveauté, la tragédie romaine se termine avec Accius et tous ceux qui l'imitèrent ; et les élégantes facéties de la subtilité latine resplendirent exclusivement avec Caecilius, Térence, Afranius pratiquements contemporains »
— Velleio Patercolo, Historiae Romanae, I, 17, 1., [...] nisi aspera ac rudia repetas et inventi laudanda nomine, in Accio circaque eum Romana tragoedia est; dulcesque Latini leporis facetiae per Caecilium Terentiumque et Afranium subpari aetate nituerunt.
« Dans la comédie, plus que dans tout autre genre, laissent à désirer, quel que soit l'avis de Varon, citant la phrase de Aelius Stilo, que si les Muses auraient voulu parler latin, elles l'auraient fait dans la langue de Plaute, nonobstant les louanges que les anciens adressèrent à Caecilius et bien que les œuvres de Térence soient attribuées à Scipion l'Africain (elles sont toutefois plus raffinées dans ce genre et auraient été encore plus belles si elles étaient écrites seulemeent en trimètres iambiques.»
— Quintilianus, Institutiones, X, 1, 99., In comoedia maxime claudicamus. Licet Varro Musas, Aeli Stilonis sententia, Plautino dicat sermone locuturas fuisse si Latine loqui vellent, licet Caecilium veteres laudibus ferant, licet Terenti scripta ad Scipionem Africanum referantur (quae tamen sunt in hoc genere elegantissima, et plus adhuc habitura gratiae si intra versus trimetros stetissent).
Par rapport à la critique antique, celle moderne et contemporaine se trouve dans l'impossibilité d'évaluer l'œuvre de Caecilius dont il ne reste que quelques fragments, insuffisants pour se faire une idée précise. Sa figure apparaît plutôt ambiguë, en partie liée au modèle de Plaute et en partie anticipatrice de celui de Térence: son style se distingue par une «tension» qui n'arrive pas à atteindre pleinement la créativité de Plaute ni la correction et la naturalité de Térence. À Caecilius on reconnaît le mérite d'avoir agi comme passage entre la palliata de Plaute et celle de Térence, permettant le développement successif dans tous les genres d'une littérature complètement hellénisée dans son contenu et dans son style.
Source: Wikipédia, L'encyclopédie libre
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